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Santé mentale
En Europe, près de 40 % de la population souffriraient d’une maladie mentale. En 2011, 165 millions d’Européens auraient été touchés par la dépression, l’anxiété, l’insomnie, la démence et autres affections [1]. Selon l’OMS, la dépression va devenir dans la prochaine décennie la seconde cause au monde de mortalité et de handicap. Des chiffres qui interpellent. Notre monde – et notre système économique – ne seraient-ils pas pour partie au moins responsables de cette évolution ? Et quelle place laissons-nous dans notre société à ces personnes en souffrance, que leurs difficultés soient temporaires ou durables ?
Il y a vingt ans, on tenait aux personnes
dépressives un discours très
moralisateur : « Tu peux y arriver,
lève-toi, bouge-toi, il est temps
de te secouer… » « La reconnaissance
du fait que ce soit une maladie
a été libérateur, a redonné de la dignité
aux personnes concernées, se souvient
Francis Martens, psychanalyste, anthropologue,
président de la Fédération nationale
des psychologues praticiens d’orientation
psychanalytique de Belgique francophone.
Mais cela s’est transformé en piège : en
individualisant la question, cette dernière
s’est trouvée réduite à la notion de disease,
maladie biomédicale, alors qu’elle est aussi
sickness, maladie au sens sociologique du
terme, et illness, maladie au sens de souffrance
personnelle. » Une modification
qu’on pourrait croire purement sémantique,
mais qui a pourtant des conséquences
extrêmement concrètes – et qui illustre la
propension du néolibéralisme à se glisser
partout dans nos vies [2]…
(...)
La mondialisation génère de nouvelles souffrances psychiques et morales
Les effets de la mondialisation sur la santé mentale ont mobilisé psychiatres, psychologues, travailleurs sociaux, associations et ONG lors d’un récent congrès mondial, à Lyon. Une nouvelle précarité psychique a été mise en évidence, qui affecte l’identité et le lien social.
Malgré l’amélioration de la santé physique et l’allongement de l’espérance de vie, un nombre croissant de personnes vivent mal. Insomnies, maux de tête, douleurs dorsales… sont la somatisation d’une précarité psychique et morale. Cette somatisation masque l’intensité de la douleur mentale provoquée par la fragmentation professionnelle, familiale ou géographique. Les demandes de prise en charge psychologique augmentent partout dans le monde. Jean Furtos, médecin psychiatre, constate que « les modèles socioéconomiques sont inadaptés à la mondialisation. Il y a de plus en plus de laissés pour compte qui vivent en retrait de la société. Les écarts se creusent. Les faibles sont broyés par la vitesse du changement. Celui qui a perdu son travail, son logement, sa famille, ne se sent plus digne d’appartenir à l’humanité, à son groupe social. C’est ce que j’appelle le syndrome d’auto-exclusion. Il touche autant les gens de la rue que les cadres financiers ».
(...)
L’ethnopsychiatrie
Un pont entre deux rives
Reconnaître la différence de l’Autre et penser la détresse de manière plus humaniste : tels sont les objectifs de l’ethnopsychiatrie. Ce courant de la psychiatrie traite les troubles mentaux et les souffrances psychologiques des populations migrantes, en prenant en compte la culture d’origine du patient.
C’est une approche thérapeutique
encore méconnue
et parfois décriée.
L’ethnopsychiatrie semble
pourtant prendre tout
son sens, à une époque
où les flux migratoires se sont mondialisés
et où se pose la question de l’accueil de ces
populations déracinées, parfois fragilisées
par les circonstances mêmes de leur exil
et par la difficulté à s’adapter à la culture
du pays qui leur offre l’asile. Georges
Devereux, anthropologue et psychanalyste
français, est considéré comme le père
fondateur de cette discipline. Mais c’est
son disciple Tobie Nathan qui l’a popularisée
en créant, en 1979, la première
consultation d’ethnopsychiatrie en France,
puis en fondant à Paris un centre universitaire
d’aide psychologique aux migrants.
Depuis, les deux thérapeutes ont fait des
émules en Suisse, au Québec, en Italie ou
en Belgique.
(...)
[1] H.U. Wittchen, « The size and burden of mental disorders and other disorders of the brain in Europe 2010 », European Neuropsychopharmacology 21, Elsevier, 2011.
[2] Lire notre dossier dans Imagine n° 87, septembre-octobre 2011.