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Depuis plus de dix ans, l’Union européenne et les 77 pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), qui représentent les anciennes colonies européennes, négocient sans succès des accords de partenariat économique (APE). Ce sont des accords de libre-échange censés remplacer les accords commerciaux préférentiels existant aujourd’hui. L’ultimatum posé par l’Union européenne, qui souhaite conclure ces accords pour le 1er janvier 2014, a porté la tension à son comble et illustre la nature d’un partenariat de plus en plus controversé.
La coopération entre l’Union européenne et ses anciennes colonies a débuté dès la fin des années 1950, avec la signature de la première convention de Yaoundé en 1958, octroyant aux anciennes colonies africaines une aide financière via le Fonds européen de développement (FED) et des avantages commerciaux par le biais d’accords préférentiels. A partir de 1975, ce sont les conventions de Lomé qui ont régi les relations entre les neuf Etats membres et les 46 pays ACP de l’époque (l’adhésion du Royaume-Uni à l’Union européenne ayant impliqué l’intégration de certains pays du Commonwealth), sur la base de préférences commerciales non réciproques accordées à la plupart des exportations des pays ACP vers la CEE de l’époque, ainsi que d’une aide financière via le FED et de mécanismes de stabilisation des termes de l’échange.
Résistances croissantes
La création de l’OMC en 1995 a
toutefois rendu le régime commercial
de Lomé incompatible
avec les nouvelles règles du commerce
mondial fondées sur la
non-discrimination. En effet, en
accordant aux pays ACP un accès
préférentiel à son marché, l’Union
européenne appliquait un régime
discriminatoire envers les autres
pays en développement.
C’est pourquoi, dans le cadre
de l’accord de Cotonou, signé
en 2000 pour une durée de
20 ans par l’Europe des Quinze de
l’époque et 77 pays ACP, le régime
commercial a subi un profond
remaniement : les préférences
tarifaires non réciproques étaient
maintenues jusqu’à la fin 2007
et devaient être remplacées le
1er janvier 2008 par des accords de
libre-échange réciproques compatibles
avec les règles de l’OMC.
Entamées en 2002 avec six blocs
régionaux (Afrique centrale,
Afrique de l’Ouest, Afrique de
l’Est, Afrique australe, Caraïbes
et Pacifique), l’Union européenne
chercha à éliminer en l’espace de
15 ans les droits de douane sur
80 % des produits et services exportés
dans les pays ACP. Mais les
négociations se heurtèrent à des
résistances croissantes, à mesure
que l’Union européenne cherchait
à intégrer des domaines de
plus en plus larges, dont certains
allaient au-delà des demandes de
l’OMC – comme les services, les
droits de propriété intellectuelle,
les marchés publics et l’investissement.
Ultimatum européen aux ACP
En 2007, l’échec des négociations
était patent et la perspective d’appliquer
des APE reportée. Un seul
accord avait été conclu avec la région
des Caraïbes. C’est pourquoi
la Commission européenne décida
de changer de stratégie et de négocier
non plus avec des blocs régionaux
mais pays par pays, dans
le but d’adopter des « APE intérimaires » prenant la forme d’accords
bilatéraux de libre-échange.
De la sorte, l’Union européenne
espérait éviter les résistances collectives
et profiter du rapport de
force favorable dans le cadre de
négociations bilatérales. Alors
qu’elle s’en était jusque-là défendue,
la Commission européenne
utilisait de plus en plus clairement
le chantage de l’aide fournie
par le biais du FED pour arriver
à ses fins. Dans un premier
temps, la tactique sembla porter
quelques fruits, puisque l’Union
européenne arracha la signature
de 16 pays d’Afrique de l’Est et
d’Afrique australe, ainsi que de
la Côte d’Ivoire, du Ghana et du
Cameroun. Mais ces signatures
provoquèrent de vives tensions
entre les pays signataires et non
signataires des régions concernées
et, en 2011, seuls quatre
pays avaient finalement ratifié
les « APE intérimaires » qu’ils
avaient signés.
La Commission européenne a
abattu sa dernière carte fin 2011
en posant un ultimatum aux
ACP : les pays qui n’auront pas
ratifié un APE intérimaire au
1er janvier 2014 perdront leur accès
préférentiel et tomberont dans
le système généralisé de préférences
tarifaires de l’UE (SPG),
qui accorde aux autres pays en
développement un accès préférentiel
au marché européen, mais
moins avantageux que le régime
de Lomé. En d’autres termes,
l’Union européenne rétablirait
des droits de douane aux exportations
des pays ACP, sauf pour
les 33 pays ACP qui font partie
de la liste des 49 pays les moins
avancés (PMA) et qui disposent
d’un traitement spécial à l’OMC
et d’un accès libre de droits au
marché européen selon l’accord
« Tout sauf les armes ».
Il n’est toutefois pas certain que
l’ultimatum sera respecté. Les
pays africains ont plus à gagner
d’une véritable intégration régionale
que d’un accord de libre-échange
avec l’Union européenne,
tandis que les règles de l’OMC
permettent plus de flexibilité que
ce qui est exigé par la Commission
européenne en termes de libéralisation.
Les divergences UE/ACP
ne sont dès lors sans doute pas
près de s’estomper. En définitive,
les velléités libre-échangistes
européennes risquent de pousser
toujours davantage les pays africains
dans les bras des bailleurs
émergents comme la Chine ou
l’Inde, ce qu’une Europe de plus
en plus dépendante des matières
premières extérieures pourrait finalement amèrement regretter.
Par Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD-11.11.11
(@ArnaudZacharie)