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GEO-STRATÉGO
La chronique d’Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD-11.11.11.
Soixante ans après la signature du Traité de Rome, qui avait donné naissance à la Communauté économique européenne, l’Union européenne fait face à une crise existentielle qui, à défaut d’une refondation suffisamment ambitieuse, pourrait se révéler fatale.
La défiance des citoyens envers l’Union européenne augmente au rythme des crises qu’elle accumule. Selon l’Eurobaromètre d’octobre 2016, près d’un citoyen européen sur deux (47 %) considère que l’adhésion de son pays à l’Union européenne est une mauvaise chose. Certes, ils ne sont que 19 % au Luxembourg, 29 % en Allemagne ou 35 % en Belgique à avoir un tel avis défavorable, mais ils sont 52 % en France, 67 % en Italie et 69 % en Grèce à être dans ce cas. Lentement mais sûrement, l’euroscepticisme gagne du terrain.
Une construction bancale
Pourquoi l’Europe est-elle ainsi de plus en plus perçue comme
un problème plutôt que comme une solution ? A l’origine, la
construction européenne a permis d’apporter une véritable
plus-value à l’ensemble de ses membres en proposant des réponses
coordonnées à des problèmes communs : la coopération
européenne a permis de garantir la paix sur le continent, l’Union
européenne des paiements (UEP) a favorisé la stabilité monétaire
et les échanges entre les Etats membres, la Communauté économique
du charbon et de l’acier (CECA) a garanti la sécurité énergétique
et soutenu la politique industrielle, tandis que la Politique
agricole commune (PAC) a assuré la souveraineté alimentaire.
Pendant des décennies, la construction européenne a favorisé
l’harmonisation par le haut des Etats membres grâce à des politiques
communautaires et des mécanismes de redistribution.
Un premier tournant est apparu suite à l’adhésion du Royaume-
Uni en 1973, à l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher en 1979
et au tournant néolibéral des années 1980. La vision britannique
de limiter la construction européenne à un grand marché
unique s’est alors progressivement imposée. Le refus britannique
d’accepter toute forme de solidarité budgétaire se résumait
en une formule : « I want my money back. »
Conséquence de cette approche : l’Acte unique, le traité de
Maastricht et la monnaie unique ont été adoptés sans intégration
politique et budgétaire, ni harmonisation sociale et fiscale.
L’argument avancé à l’époque était que l’Union économique et
monétaire n’était qu’une première étape qui allait favoriser ensuite
la construction d’une Europe politique et sociale. Toutefois,
cette seconde étape ne vit jamais le jour, alors que l’élargissement
à de nouveaux Etats membres primait sur l’approfondissement
politique, sans que soit augmenté le maigre budget européen
de 1 % du PIB. A titre de comparaison, le budget fédéral
aux Etats-Unis a un effet redistributif entre les différents Etats
qui est trente-cinq fois plus important que le budget de l’UE [1].
A la logique de l’harmonisation par le haut permise par la coopération
économique s’est ainsi substituée celle de la course au
moins-disant fondée sur la compétition de tous contre tous : le
dumping social et fiscal devenait l’instrument privilégié pour
gagner en compétitivité.
Il en a résulté une construction européenne bancale et instable :
les murs économiques ont été dressés sans fondations sociales,
sans ciment fiscal et budgétaire et sans toit politique.
Par conséquent, à la moindre tempête, l’édifice risquait de s’effondrer.
C’est ce que la crise financière de 2008 a brutalement révélé.
En effet, en cas de crise, les gouvernements disposent de trois
instruments pour ajuster leur économie : les transferts budgétaires
pour éponger les dettes, la dévaluation du taux de change
pour doper les exportations et la réduction des coûts par des politiques
d’austérité. La zone euro ne disposant pas d’un budget
fédéral digne de ce nom et la monnaie unique ne permettant pas
à un Etat membre de dévaluer, c’est par l’austérité que l’ajustement
s’est opéré à partir de 2010 – austérité bétonnée par
l’adoption en 2012 d’une « règle d’or » en vue d’empêcher que
le déficit structurel des Etats membres soit supérieur à 0,5 %
du PIB. Comme on pouvait s’y attendre, l’austérité généralisée a
entraîné la récession, le chômage, la déflation et l’augmentation
des dettes publiques.
Le spectre de la désintégration
Comme vingt ans plus tôt, l’argument utilisé a été celui de la
carotte et du bâton : l’austérité a été présentée comme une première
étape nécessaire pour rassurer l’Allemagne et favoriser
ensuite l’intégration politique et la solidarité budgétaire. Certes, l’Union européenne a ensuite adopté une
Union bancaire et un Mécanisme de stabilité
financière (MES), mais la réponse
se révèle insuffisante, car elle ne mutualise
pas les risques et reste fondée sur des
garanties nationales. Preuve de son inefficacité,
les pays faisant face à de nouveaux
problèmes bancaires cherchent systématiquement
à éviter de recourir au MES.
Par conséquent, plutôt qu’au renforcement de la
coopération économique et de la solidarité budgétaire,
c’est à l’exacerbation du dumping et des déséquilibres
internes que l’on on a assisté : les excédents
allemands n’ont cessé de croître, tandis que
l’Europe du Sud a sombré dans la déflation. La BCE
a bien tenté d’enrayer la spirale déflationniste, mais
en l’absence de politique budgétaire coordonnée,
les liquidités qu’elle a injectées dans l’économie ont
plus servi à nourrir les bulles financières que les investissements
productifs.
La Grèce, suite à l’arrivée au pouvoir de Syriza, a
tenté de modifier cette logique, mais complètement
isolée et même poussée au « Grexit temporaire »
par l’Allemagne, elle a été contrainte de rentrer
dans le rang et d’accepter une mise sous tutelle par
ses créanciers.
Il s’agit toutefois pour ces derniers d’une victoire à
la Pyrrhus, tant l’exemple grec a offert un argument
supplémentaire aux eurosceptiques, trop heureux
de pouvoir démontrer qu’aucun changement démocratique
n’est possible en Europe.
La menace du Grexit a en outre rendu l’adhésion
à la monnaie unique théoriquement réversible, ce
qui met en péril la stabilité de l’Union économique
et monétaire. Quoi qu’il advienne dans la zone
euro, le Brexit a, depuis lors, d’ores et déjà rendu
réversible l’adhésion à l’Union européenne, qui a
donc entamé un processus de désintégration.
Parallèlement, les attentats terroristes et l’afflux
de réfugiés fuyant la guerre au Moyen-Orient ont
mis en péril l’autre pilier de la construction européenne
: la libre circulation des citoyens que garantissent
les accords de Schengen. Les forces nationalpopulistes,
qui se nourrissaient déjà de l’insécurité sociale
engendrée par la crise économique et l’austérité, ont profité
du contexte anxiogène pour prôner le repli sur soi et séduire
un nombre croissant d’électeurs.
Il en a résulté une politique migratoire cacophonique et de plus en
plus restrictive. Un accord a certes été laborieusement conclu en
septembre 2015 pour relocaliser de manière équitable 160 000 réfugiés
depuis la Grèce et l’Italie dans les différents Etats membres,
mais il n’est que très partiellement appliqué : en janvier 2017, seuls
10 122 réfugiés avaient été relocalisés. Par conséquent, l’Union européenne
se révèle incapable d’appliquer ses propres décisions.
En définitive, la crise de la soixantaine de l’Union européenne
semble plus profonde que jamais. Les élections prévues en 2017
dans quatre des six pays fondateurs de l’Union européenne ont
comme point commun de voir grimper dans les sondages des
partis eurosceptiques – le Front national en France, le Parti de
la liberté de Geert Wilders aux Pays-Bas, le Mouvement 5 Etoiles
en Italie et l’AfD en Allemagne.
La coopération renforcée
Cette crise survient par ailleurs dans le contexte de l’arrivée au
pouvoir de Trump aux Etats-Unis, qui non seulement soutient
ouvertement le Brexit, mais envisage en outre de mettre fin à
la Pax Americana, remettant en cause son soutien à l’OTAN,
dont l’existence est pourtant vitale pour les pays d’Europe de
l’Est face à leur encombrant voisin russe – renvoyant ainsi
l’Union européenne face à son incapacité à créer une
Défense commune.
L’Union européenne a été habituée, au cours de ses
soixante ans d’histoire, à transformer les crises en
opportunités, mais elle nécessite cette fois un sursaut
d’une ambition inédite. Le Brexit et la présidence
Trump doivent inciter l’UE à prendre
son destin en mains et à recentrer ses priorités
sur les domaines où elle apporte une
véritable plus-value à ses membres.
Les solutions sont connues : adopter
une harmonisation sociale et fiscale,
mutualiser les dettes et les risques
bancaires, instaurer un impôt
européen (comme une
taxe européenne sur
les transactions
financières internationales)
pour disposer de recettes
propres, lancer
un plan d’investissement
pour la transition énergétique et
l’Europe numérique, créer une Défense commune et un service
européen de renseignements, adopter une politique migratoire
intégrée, etc. Toutefois, espérer voir ces solutions appliquées intégralement
par les vingt-sept, voire par les seuls Etats membres de
la zone euro, semble illusoire dans le contexte actuel.
C’est pourquoi il faudra recourir dans un premier temps à
la coopération renforcée, qui permet à neuf Etats membres
d’adopter une mesure sans l’accord de tous les autres.
Insuffler une seconde jeunesse à la construction européenne, par
le biais d’un groupe de pays pionniers décidés à mettre en oeuvre
des projets communs débouchant sur des résultats concrets, permettrait
de créer un effet d’entraînement et de réduire le fossé
entre l’UE et ses citoyens. En l’absence d’un tel sursaut, il est à
craindre que la crise de la soixantaine de l’Union européenne
prenne rapidement la forme d’une crise terminale.
Par Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD-11.11.11
(@ArnaudZacharie)
Dessin : Julie graux
[1] P. Pasimeni and S. Riso, « An assessment of the redistributive function of the EU budget”, Vox, 19 January 2017.
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