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GEO-STRATÉGO
La chronique d’Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD-11.11.11.
Depuis la crise de 2008, la mondialisation est en perte de vitesse. La baisse de la croissance du commerce mondial et des flux de capitaux internationaux indique que l’économie mondiale est entrée dans une phase de démondialisation. La manière dont elle sera gérée déterminera si elle annonce une saine correction ou, au contraire, une nouvelle « grande transformation ».
Julie Graux
La mondialisation commerciale et financière qui a pris
naissance dans les années 1980 n’est pas la première de
l’histoire économique. La « première mondialisation »
qui a débuté en 1870, au moment de la diffusion de la
Révolution industrielle et des ruptures technologiques
provoquées par l’invention du télégraphe, des chemins de fer et
du bateau à vapeur frigorifique, a entraîné une forte hausse des
échanges commerciaux et financiers internationaux.
Cette première mondialisation a connu un arrêt brutal en 1914
et débouché sur ce que Karl Polanyi a qualifié de « grande transformation
» [1], c’est-à-dire l’effondrement de la civilisation du 19e
siècle illustré par deux guerres mondiales, une grande dépression
et l’émergence des totalitarismes.
Cette profonde transformation a débouché sur une phase de
démondialisation de plusieurs décennies : afin de retrouver le
niveau de leur pic de 1914, il faudra attendre les années 1970
pour le commerce mondial – qui s’était effondré de 30 % à 10 %
du PIB mondial entre 1914 et 1933 – et les années 1990 pour les
flux de capitaux – contrôlés pendant trois décennies suite aux
accords de Bretton Woods de 1944 [2].
Alors qu’une nouvelle phase de démondialisation est à l’œuvre depuis
2008, la question mérite d’être posée : est-elle annonciatrice
d’un effondrement aussi brutal que celle de 1914 ou, au contraire,
une occasion de corriger les déséquilibres de la mondialisation ?
Les ressorts de la démondialisation
Entre la chute du Mur de Berlin en 1989 et le début de la crise
financière mondiale en 2007, le volume des flux de capitaux internationaux
a augmenté de 5 % à 21 % du PIB mondial et celui
du commerce mondial de 39 % à 59 % [3].
Depuis ce pic, le poids des mouvements de capitaux a été divisé
par dix, atteignant 2,6 % en 2015, tandis que la croissance du
commerce mondial, qui avait été deux fois plus rapide que le PIB
mondial jusqu’en 2008, est désormais inférieure à la pourtant
faible croissance mondiale – pour ne plus représenter que 55%
du PIB mondial [4]. Les moteurs de la mondialisation financière et
commerciale sont grippés. Doit-on s’en inquiéter ou s’en réjouir ?
D’une part, les trois quarts de la baisse du volume des mouvements
de capitaux internationaux s’expliquent par l’effondrement
des activités bancaires internationales. Or, comme le
souligne Mallaby, « la baisse des prêts bancaires transfrontaliers
représente une saine correction » [5].
La crise de 2008 s’explique en effet par les investissements excessivement
risqués des banques dans les produits structurés
aux Etats-Unis et dans les pays d’Europe du Sud.
En toute logique, les régulateurs ont répondu à la crise par un
renforcement des mesures de contrôle des opérations bancaires
internationales.
En réponse, le secteur bancaire a fortement réduit ses prêts
interbancaires internationaux – que les banques européennes
ont divisés par deux depuis leur pic de 2008. Comme le résume
Barry Eichengreen : « Plutôt que nous alarmer, cela devrait nous
rassurer, parce que les formes les plus risquées de la finance internationale
ont été réduites sans perturber les formes plus stables et
productives d’investissement étranger. » [6]
En effet, les investissements directs étrangers (IDE) des entreprises
et les achats d’obligations n’ont que faiblement baissé
entre 2007 et 2015, tandis que les investissements en portefeuilles
d’actifs ont même légèrement augmenté.
D’autre part, la baisse de la croissance du commerce mondial
s’explique principalement par la faible croissance économique et
pas par des politiques protectionnistes : la « stagnation séculaire »
provoquée par le manque d’investissements productifs réduit les
débouchés commerciaux. Cette baisse ne doit toutefois pas masquer
le fait que le commerce mondial reste à un niveau historiquement
élevé. Tout indique que c’est moins le niveau actuel que celui
d’avant 2008 qui est exceptionnel : la baisse du commerce mondial
ne représente à cette aune qu’une « grande normalisation » [7].
En outre, des facteurs structurels indiquent que la mondialisation
commerciale a atteint un plafond. En effet, les chaînes de valeur
des firmes transnationales, qui ont représenté le principal moteur
de la mondialisation commerciale, se réduisent au fur et à mesure
que la Chine produit localement des composants industriels
qu’elle importait auparavant.
Or c’est le signe d’une plus grande maturité économique chinoise
et cela contribue à réduire les déséquilibres financiers internationaux
– l’excédent courant de la Chine ayant baissé de 10 % à 3 %
de son PIB entre 2007 et 2015. A cela s’ajoute l’automatisation des
chaînes de production qui permet aux firmes occidentales de rapatrier
des lignes d’assemblage délocalisées dans des pays émergents
à bas salaire.
En conclusion, rien n’indique à ce stade que la démondialisation
en cours doive nous inquiéter outre mesure. Elle est davantage la
conséquence d’un retour à la normale, après des décennies d’excès.
Par contre, les réponses politiques apportées à ces excès sont
plus préoccupantes, tant elles sont susceptibles de précipiter de
nouvelles crises et de nouveaux conflits.
La nouvelle donne national-populiste
Comme l’a notamment décrit Thomas Piketty [8], la hausse des
inégalités internes est une caractéristique commune des deux
mondialisations : elles ont atteint un pic lors de la Belle Epoque en
Europe et de l’Âge d’or aux Etats-Unis, avant de décroître durant la
démondialisation et de repartir à la hausse au cours de la mondialisation
contemporaine.
Or, les mêmes dérives ploutocratiques mènent aux mêmes idéologies
social-xénophobes, qui tirent politiquement profit de la colère
des perdants de la mondialisation et dont l’illustration la plus marquante
est l’arrivée au pouvoir de Donald Trump
aux Etats-Unis.
Avec son slogan Make America Great Again, le nouveau
président des Etats-Unis prétend renouer avec
l’isolationnisme du Parti républicain qui domina la
scène politique des Etats-Unis entre la fin de la Guerre
de Sécession en 1865 et la crise de 1929. Ce faisant, il
confirme officiellement que le système-monde est désormais
sans hégémon en son centre – ce qui, selon
la thèse de Charles Kindleberger [9] sur les causes
de la Grande Dépression, est un puissant
facteur d’instabilité mondiale.
Pour concrétiser son America First, le
président Trump prône la dérégulation
financière, le mercantilisme commercial
et la fermeture des frontières aux
immigrés. Les flux du commerce et des
migrants risquent dès lors de baisser,
mais pas ceux des capitaux. Ce faisant,
la première puissance mondiale risque
de précipiter la prochaine crise financière, de
provoquer des conflits commerciaux et d’exacerber aussi
bien les divisions internes que les tensions internationales –
dans un monde où les différentes formes de national-populisme
prolifèrent, des promoteurs du Brexit au groupe de Visegrad en
Europe, en passant par la Russie de Poutine, la Turquie d’Erdogan,
la Chine de Xi Jinping ou l’Inde de Modi dans le monde émergent.
La mer de Chine du Sud, la frontière eurasienne et le Moyen-Orient
sont autant de menaces majeures pour la paix mondiale : alors que
les dépenses militaires mondiales ont stagné au cours de la dernière
décennie, elles ont augmenté de 75 % en Asie orientale, de
90 % en Europe de l’Est et de 97 % en Arabie Saoudite [10].
Pour une autre mondialisation
Si la démondialisation de ces dernières années a plutôt pris la
forme d’une saine correction, la réponse national-populiste
pourrait la muer en nouvelle « grande transformation ». Il serait
pourtant possible d’en faire une opportunité pour apporter
les réponses adéquates aux défis posés par la mondialisation.
Comme l’a démontré le « paradoxe de la mondialisation » [11] de
Dani Rodrik, on ne peut pas combiner l’hyperglobalisation, la
démocratie et un espace national de décisions politiques. Une
démondialisation soft consisterait dès lors à instaurer un système
multilatéral de régulation financière, encadrer par des
normes sociales et environnementales le commerce mondial et
garantir une marge d’action pour la mise en œuvre de stratégies
nationales de développement durable.
Par Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD-11.11.11
(@ArnaudZacharie)
Dessin : Julie Graux
[1] K. Polanyi, La grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, Gallimard, 1983.
[2] R. Sharma, « When Borders Close », New York Times, 12 novembre 2016.
[3] S. Mallaby, « Globalization Resets », Finance & Development, décembre 2016, p. 7.
[4] Mc Kinsey Global Institute, « Digital Globalization : The New Era of Global Flows », février 2016.
[5] S. Mallaby, op. cit., p. 7.
[6] B. Eichengreen, « Globalization’s Last Gasp », Project Syndicate, 17 novembre 2016.
[7] Alexander Al-Haschimi, Martin Gächter, David Lodge, Walter Steingress, « The Great Normalisation of Global Trade », Vox, 14 octobre 2016.
[8] T. Piketty, Le capital au XXIe siècle, Seuil, 2013.
[9] C. Kindleberger, The World in Depression. 1929-1939, The Penguin Press, 1973.
[10] R. Sharma, op. cit.
[11] D. Rodrik, The Globalization Paradox. Democracy and the Future of the World Economy, Norton & Company, 2011.
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