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Publié dans notre magazine n°Prendre le temps
Publié dans notre magazine n°Prendre le temps
Publié dans notre magazine n°Prendre le temps
Publié dans notre magazine n°126 - mars & avril 2018
Grand entretien
Fred Debrock
Penseur inclassable, David Van Reybrouck fait l’éloge de la modération et du juste milieu, dans une époque marquée par les crispations identitaires. Il plaide pour un rafraîchissement radical de la démocratie. Et revendique la nécessité, pour tous, d’une paix intérieure retrouvée. « Notre monde souffre d’un manque de silence », accuse-t-il. Dans ses bagages : une œuvre hantée par la violence, mais aussi nourrie de fraternité.
En cette fin de matinée, le ciel bruxellois hésite entre pluies
torrentielles et éclaircies fugaces. A l’abri des caprices du
temps, David Van Reybrouck a fixé rendez-vous dans un
café-boulangerie de Schaerbeek, un lieu douillet et boisé.
La conversation s’engage sans façon. L’écrivain se
montre affable, simple. Fraternel, serait-on tenté d’écrire. Les mots
virevoltent, à l’image d’une pensée en mouvement. L’entretien se
prolonge une heure plus tard non loin de là, dans l’appartement de
l’auteur, autour d’un puissant thé noir de Chine.
Cet échange privilégié survient au milieu d’un agenda chargé. Le
matin même, David a répondu aux questions de son traducteur,
en vue de la sortie prochaine aux Etats-Unis de son essai Contre
les élections, qui sera préfacé par Kofi Annan, l’ancien secrétaire
général de l’Onu. Il revient d’un long séjour en Indonésie,
un pays qui sera le sujet de son prochain livre. L’Indonésie :
ancienne colonie néerlandaise, premier Etat du tiers-monde à
avoir gagné son indépendance. On devine qu’une fois encore, il
sera question d’un déchaînement de violence, de joie, d’espoir,
et d’une méditation sur la place de l’homme dans le monde.
Le dérèglement climatique, les vagues migratoires, le terrorisme
islamiste bouleversent les anciens repères de l’Europe. Les statistiques
sur l’automutilation et le suicide chez les adolescents sont
alarmantes. Nous vivons des temps tragiques. Et on a l’impression
que, depuis l’histoire tourmentée du Congo jusqu’à vos réflexions
récentes sur la crise de la démocratie, en passant par Zinc, toute
votre œuvre est baignée par une conscience du tragique.
Vous êtes le premier à en faire le constat et je pense que c’est
très juste. Le tragique survient toujours quand on se trouve en
présence de deux éléments qui vont mal ensemble. On ne veut
pas tuer son père, mais on le tue quand même : Œdipe. On ne veut
pas coucher avec sa mère, mais on couche quand même avec elle :
Œdipe encore. Oui, je crois que nous vivons des temps extrêmement
durs, violents, inquiétants. En même temps, ce sont aussi
des temps d’innovation, de générosité, de compassion. Quand un
enfant chinois naît, on souhaite aux parents que celui-ci ne vive
pas des temps intéressants. Parce que les temps intéressants,
c’est toujours horrible. Malheureusement, nous les vivons aujourd’hui.
On me demande tout le temps si je suis optimiste ou
pessimiste, je ne sais trop que répondre. Je suis assez négatif,
à vrai dire. Pas instinctivement : au contraire, de nature, je suis
plutôt positif. Mais par rapport au présent, je me fais des soucis
majeurs.
Quelle influence cela a-t-il sur les idées que vous portez en public ?
J’ai essayé la radicalité, par le passé. J’ai trouvé ça trop facile.
Aujourd’hui, je suis radical dans certains de mes idéaux, mais
j’estime aussi qu’il y a plusieurs façons de lutter, ou d’agir. Pour
être plus précis, je pense que la lutte n’est pas la seule forme
d’action. Il y a quelque chose dans l’esprit occidental qui pense
qu’œuvrer pour un monde plus juste, plus soutenable, ça implique
une mentalité de combat. La métaphore militaire infiltre
notre vocabulaire, surtout depuis Karl Marx, qui propose une
analyse incroyable, mais qui amène un modèle très conflictuel.
N’est-ce pas la raison pour laquelle votre pensée suscite de l’intérêt,
mais aussi une certaine réticence dans les milieux syndicaux ?
Certains vous reprochent de faire l’impasse sur le nécessaire rapport
de forces, parfois violent, qu’implique toute transformation sociale.
Vous parlez du nécessaire rapport de forces... Jusqu’où doit aller
celui-ci ? Récemment encore, j’entendais qu’une proposition
invitant des jeunes syndicalistes à suivre des formations communes
avec leurs collègues des organisations patronales, avait
été rejetée. C’est ridicule ! Plus tard, ils devront quand même
négocier ensemble. Cela me fait penser à des boxeurs que l’on
dresse l’un contre l’autre avant que le match ne commence.
Pourtant, j’ai de l’admiration pour le combat syndical. Je reconnais
que tout ce que j’ai réussi dans ma vie, c’est le fruit de luttes
multiples, sociales, économiques, politiques, linguistiques aussi
– j’ai pu étudier dans ma langue maternelle, le néerlandais, ce
qui aurait été impossible il y a un siècle. Bien menée, l’action militante
laisse espérer des résultats assez rapides. L’action diplomatique
a l’inconvénient d’être plus lente, mais je me demande
si ses résultats ne sont pas mieux ancrés, mieux soutenus par les
différentes parties. Cela dit, je ne nie pas l’importance de la lutte,
tant qu’elle se fait de façon non violente. Et encore, je suis pacifiste,
mais je ne suis pas contre tout type de violence. Le débarquement
en Normandie était une violence légitime. Un pacifiste,
ce n’est pas quelqu’un qui est opposé à toute forme de violence,
c’est une personne qui éprouve une profonde aversion pour
la violence et qui l’utilise en dernier recours. Nelson Mandela a
dit : c’est l’ennemi qui détermine quand nous allons prendre les
armes. Aujourd’hui, on le perçoit comme un grand pacifiste. C’est
pourtant lui qui a fondé le MK, la branche armée de l’ANC, en 1961.
C’est lui qui a choisi de militariser un mouvement citoyen, parce
que l’apartheid était devenu une forme de violence physique, et
que la violence à son encontre paraissait dès lors justifiée. Le dalaï-
lama a pris une autre décision. Bien que la violence chinoise
au Tibet soit réelle, il a refusé de militariser les Tibétains.
C’est l’éternelle question de la fin et des moyens. Pour votre part,
vous plaidez précisément pour de nouveaux moyens, pour une
nouvelle méthode politique. Pourquoi ?
Notre démocratie est une mise en scène du combat. Notre
parlement a pris la forme d’un théâtre grec. Si la politique est
parfois un drame, un théâtre, c’est aussi parce qu’elle (...)
=> Télécharger l’intégralité de ce grand entretien de 6 pages en pdf ici
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