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Éditorial

A voix haute

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cc Unsplash

Il fallait les voir, ce soir-là, occuper la scène à tour de rôle au fond du réfectoire de l’Athénée Royal Charles Rogier, à Liège. Douze rhétoriciens candidats au tournoi dit « d’éloquence », trente-sixième du nom.

Ils déclament des textes libres. Abordent des sujets qui leurs sont chers (l’homophobie, l’art censuré, le courage d’être soi, la crise climatique…). Citent sans complexe quelques philosophes. Et ils sont beaux face à ce public évidemment conquis à leur cause : parents émus aux larmes, amis supporters, professeurs scrutateurs. Beaux, oui, et puis drôles, maladroits, tendus, grandiloquents, intimidés, exaltés…

A chacun ses origines sociales, son langage articulé, ses mots choisis, sa gestuelle propre et sa manière de poser sa voix. Jeunes oratrices et orateurs de 17 ou 18 ans en quête d’une parole efficace. Persuader, convaincre ou émouvoir, rien ne les arrête ! Pour conquérir ce jury du premier rang, à moins qu’il ne s’agisse du monde entier !

Magnifique jeunesse plurielle, debout et affranchie, qui ose tout, bouscule tout, bien au-delà de « l’art de bien parler ». Car, derrière cette histoire de tournoi, de jury et de place en finale, se dessine autre chose de bien plus grisant : ces jeunes ont soudain conscience que leurs discours agissent sur nos esprits et éprouvent un sentiment de puissance.

Ils sont galvanisés. Exaltés. Munis d’une paire d’ailes, ils nous emmènent quelque part au carrefour de la démocratie athénienne, des envolées parlementaires de Jean Jaurès, du discours « I have a dream » de Martin Luther King, du rap ciselé et des punchlines d’Orelsan, du slam de Lisette Lombé, des étudiants de Saint-Denis dans le film A voix haute : la force de la parole…

Jeunes foudres d’éloquence

Agir sur les esprits. Par les mots. En mêlant raison et émotion, invention et argumentation. La belle affaire ! Le monde a tant besoin de ces jeunes foudres d’éloquence qui parlent avec leur esprit (vif), leur cœur (tendre) et leurs tripes (enragées) pour qu’ils réinventent d’autres manières de faire société.

Nous avons urgemment besoin d’eux pour contrecarrer les beaux parleurs, les démagogues, les imposteurs : charlatans politiques, marketeurs consuméristes, influenceurs bidon, propagandistes haineux… Celles et ceux qui font beaucoup de bruit, monopolisent la parole publique et nous entraînent tout droit vers la médiocrité et l’obscurité, plutôt que la grandeur et la lumière.

La France a réinstauré le grand oral dans l’épreuve du baccalauréat. A Bruxelles, trois associations réunies autour du projet Eloquentia ont créé un projet d’expression publique baptisé « Réciproque ». Partout en Europe, des enseignants se réemparent de la rhétorique pour travailler l’argumentation chez leurs élèves, développer leur esprit critique et renforcer la confiance en soi. Et des associations se créent pour démocratiser l’art oratoire, le mettre à la portée des publics non-initiés et moins favorisés, pousser en particulier les jeunes filles à briser la spirale de l’auto-censure et à s’émanciper.

« La parole est une arme qui sert à se défendre, témoigne ainsi Elhadj Touré, 24 ans, étudiant en sociologie de nature plutôt introvertie et demi-finaliste de l’édition 2015 du concours Eloquentia. Quand je retrace mon parcours, je me dis que si j’avais eu les bons mots, au bon moment, j’aurais pu changer littéralement certains événements de ma vie. »

Changer le cours de sa vie. Au coeur de sa jeunesse. Avec de simples « bons mots » qui seront portés ensuite à voix haute. Comme des flèches d’espoir lancées à bout pourtant dans un ciel sans fin.

Hugues Dorzée, rédacteur en chef

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