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Éditorial

La petite musique hivernale

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Julie Graux

« Les cinq à dix prochains hivers seront difficiles » promettait fin août notre Premier ministre Alexander De Croo, en précisant qu’« il n’y a pas de recette miracle ». Quelques jours plus tard, c’était au tour du président français, Emmanuel Macron, de décréter « la fin de l’abondance » face à la flambée des prix de l’énergie et de l’inflation.

Discours-vérité de deux chefs d’Etats d’obédience libérale, propos inutilement anxiogènes, aveu d’impuissance ou cynisme parfaitement maîtrisé, à chacun d’en juger. Deux mois plus tard, l’hiver, on y est. Et celui-ci s’annonce franchement « difficile » – un mot si faible, carrément indécent, pour décrire ce que vivent des millions de citoyens étranglés par la hausse des prix, incapables de payer leurs factures de gaz et d’électricité, comptant chaque litre de carburant pour aller travailler, renonçant à la moindre dépense « inutile ».

Bas salaires, petits indépendants, bénéficiaires d’allocations de remplacement, patrons de PME… endettés, au bord de la faillite, sur le point de basculer sous le seuil de pauvreté. Pendant ce temps, les CPAS, les services sociaux, les 70 000 Asbl, leurs 500 000 travailleurs du non-marchand et les 730 000 bénévoles engagés sur tous les fronts colmatent les brèches face à l’explosion des demandes. Colis alimentaires, logements à prix accessibles, aide psychomédicale, soutien à la santé mentale… la liste est longue et les carences nombreuses dans des secteurs largement sous-financés, submergés par la misère qui grandit, affaiblis après les douloureuses années Covid et appelés trop souvent à combler les failles d’un Etat-actif incapable de combattre structurellement l’injustice sociale.

Les gouvernements ne restent évidemment pas les bras croisés. Des mesures de crise ont été prises à la sauvette (élargissement du tarif social, réduction de la TVA, chèques énergie, report de cotisations sociales pour les entreprises), mais elles ne suffiront pas. La dette publique enfle, les caisses de l’Etat sont vides, le chômage de masse reste à un niveau préoccupant, les crises environnementales nous obligent à investir, plaident nos décideurs. Mais ce discours passe de plus en plus difficilement face à l’arrogante et insupportable réalité du capitalisme marchand.

Bénéfices plantureux de multinationales de l’énergie, spéculation boursière sur fond de guerre en Ukraine, actionnaires qui s’enrichissent grassement pendant que les factures des consommateurs sont multipliées par deux ou trois, taxes bien trop faibles sur les surprofits et absence de réelle régulation… Autant de facettes d’un marché libéralisé, mondialisé et déconnecté de l’économie réelle, qui aujourd’hui nous rend dépendants et si peu résilients face aux crises.

La souffrance et le silence

L’hiver sera « difficile », oui très certainement, mais surtout socialement bouillonnant. Après le succès de la marche climat qui a réuni 30 000 citoyens à Bruxelles fin octobre, les actions de désobéissance civile menées çà et là, une grève nationale début novembre, on devine une lente colère qui monte. « Si on veut connaître un peuple, il faut écouter sa musique », écrivait déjà Platon à l’Antiquité. Quelle est cette petite musique du moment ? Cache-t-elle la pudeur d’un peuple qui souffre en silence ? Une fausse résignation ? Des envies d’en découdre si la situation devait perdurer ? Une volonté de faire prochainement parler les urnes en choisissant l’extrême droite ou des partis nationalistes comme c’est déjà le cas en Italie, en France, en Suède, en Allemagne ? Notre sondage inédit Imagine/Dedicated explore l’état d’acceptation des Belges face aux crises climatique et énergétique et nous apporte quelques clés de lecture éclairantes pour mesurer la tonalité de cette partition hivernale. Une photographie de l’opinion, complétée par une douzaine de mesures exploratoires et basculantes, qui permettent de mieux cerner l’envie et les intentions des citoyens. Et tracer, ensuite, les contours d’un futur à construire en commun.:

Hugues Dorzée, rédacteur en chef d'Imagine

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