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Éditorial

Notre affaire climat

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Julie Graux

« Si vous avez la force, il nous reste le droit ». Face aux dérives des puissants et aux injustices sociales, Victor Hugo (1802-1885) croyait dur comme fer aux vertus de la Justice. Deux siècles plus tard, face aux urgences environnementales, son éloge du droit demeure d’une criante actualité. Quand un Etat s’avère non respectueux des libertés fondamentales, impuissant à agir ou complètement inapte, les tribunaux sont quelquefois de redoutables alliés des citoyens. Quand de grandes entreprises, mercantiles et immorales, détruisent notre bien commun, ces mêmes juges peuvent contribuer à faire avancer le cours de l’histoire.

Le 17 juin dernier, le tribunal de première instance de Bruxelles a rendu un jugement inédit sanctionnant sévèrement l’Etat belge et les trois Régions pour leur « manque de bonne gouvernance climatique », estimant qu’ils n’ont pas agi « avec prudence et diligence ». Alors qu’en l’état actuel de la science, « il n’est plus permis de douter de l’existence d’une menace réelle de changement climatique dangereux ayant un effet néfaste direct sur la vie quotidienne des générations actuelles et futures des habitants de Belgique. »

Intentée en avril 2015 par l’Asbl Klimaatzaak, cette action en justice était soutenue par 58 000 co-plaignants et différentes ONG. C’est donc une belle victoire de la société civile, en particulier flamande, qui a fait preuve d’obstination et de méthode. Dans ce jugement de 83 pages très documenté, le tribunal estime qu’en s’abstenant de « prendre les mesures nécessaires », nos gouvernements violent les articles 2 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme consacrant le « droit à la vie » et le « droit au respect de la vie privée et familiale ».

Après des mois de mobilisation citoyenne au ralenti pour cause de pandémie, ce jugement ré-humanise par ailleurs la crise climatique : « Il reconnaît que nous sommes en danger direct, personnel et réel », se félicitent les plaignants.

L’inaction sanctionnée

Il y a toutefois un bémol : en se retranchant derrière la séparation des pouvoirs, le tribunal bruxellois s’abstient de condamner l’Etat belge et n’impose aucun objectif à atteindre – l’Asbl Klimaatzaak réclamait une diminution de 42 % de gaz à effet de serre en moins d’ici 2025 et minimum 55 % en moins d’ici 2030 par rapport à 1990, et un objectif « zéro carbone » en 2050. Aux Pays-Bas et en Allemagne, où des actions similaires ont été intentées, les tribunaux ont suivi l’avis des plaignants. En France, où quatre ONG (Notre affaire à tous, Greenpeace, Oxfam et la Fondation Nicolas Hulot) fortes d’une pétition de 2 millions de signatures, avaient également déposé plainte devant le tribunal administratif de Paris, l’Etat français a été condamné début février à un euro symbolique pour « carences fautives » et son incapacité à tenir ses engagements de réduction des gaz à effet de serre sur la période 2015-2018.

Quoi qu’il en soit, ces victoires juridiques essentielles démontrent aussi la nécessité d’obtenir au plus vite un cadre contraignant au niveau international. Ces mêmes obligations d’agir non prévues dans l’Accord de Paris de 2015 et qui ne risquent pas, sauf miracle, d’être adoptées lors de la COP26, la Conférence climatique qui se tient début novembre à Glasgow. En attendant, l’Europe a conclu au printemps dernier un accord encore provisoire qui vise un cadre contraignant et la neutralité carbone en 2050 et – 55 % en 2030.

Désormais, les Etats ne pourront plus se défausser ou reporter la responsabilité sur leurs voisins. Réjouissons-nous, car l’urgence est là. Et les pays les plus pauvres, eux, subissent de plein fouet et depuis trop longtemps les dérèglements climatiques causés par la pollution grandissante et les modes de consommation destructeurs des pays les plus riches…

Pour l’heure, savourons cette victoire du droit belge. Tout comme celle du collectif Milieudefensie (la branche néerlandaise des Amis de la Terre), six ONG et 17 000 co-plaignants qui, le 26 mai dernier, ont obtenu la condamnation de la compagnie pétrolière Shell accusée de « détruire le climat » et priée de réduire drastiquement, elle aussi, ses émissions de CO2.

C’est une des 1 550 affaires environnementales dénombrées en 2020 dans trente-neuf pays (dont 1 200 rien qu’aux Etats-Unis), selon les chiffres du Programme des Nations Unies pour l’environnement. Un chiffre en hausse continue : c’est presque deux fois plus qu’en 2017 (884 procès).

« Si vous avez la force, il nous reste le droit ». Le droit pour contraindre nos dirigeants et nos entreprises à agir dans l’intérêt général quand l’appel de la rue et des urnes ne suffisent plus.

Hugues Dorzée, rédacteur en chef

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