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Rencontre

A la cueillette de fleurs locales

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Sarah Freres

Des centaines de millions de fleurs coupées sont écoulées chaque année en Belgique. Comment sont-elles produites ? Que pèse le marché de l’importation ? Quel impact pour l’environnement ? Dans son numéro 144, Imagine vous propose un dossier de huit pages sur le marché floricole belge, des serres flamandes où l’on pratique d’hydroponie hors sol aux roses du Kenya importées à l’aéroport de Bierset, de la vente à la criée bruxelloise Euroveiling au mouvement alternatif et émergeant slow flowers (lire ci-dessous).

« Il faut respecter la nature, ce qu’elle nous offre et faire avec ce qu’on a. Une fleur peut être belle une semaine puis avoir un coup de chaud et flétrir la semaine suivante. C’est pour ça que je ne peux jamais promettre, avec certitude, que telle ou telle variété composera mes bouquets. C’est parfois difficile à comprendre pour les clients qui veulent, par exemple, des roses et qui ont l’habitude de pouvoir en trouver toute l’année. » Au moment de cet entretien, à l’automne 2020, la saison des fleurs fraîches touche à sa fin pour Elodie Gernay, fleuriste éco-responsable et créatrice de Ginger Flower. Il faudra attendre le retour du printemps, bien après les éclosions des perce-neiges blancs, des crocus mauves et des narcisses jaunes pour retrouver le chemin des champs de la campagne wallonne. « La fin de la saison se marque lorsque les fleurs sont moins robustes, moins belles. C’est également fonction de la météo. Par exemple s’il gèle, elles ne seront plus assez fortes pour tenir une semaine dans un vase », observe-t-elle.

Sarah Freres

Le milieu du marketing ne parlait plus à Elodie. Un boulot vidé de son sens, sans convergences avec ses valeurs, un besoin de se rapprocher de la nature et l’attrait pour un métier plus manuel. Une paire d’années après avoir bouclé des études de communication, sa trajectoire bifurque. Elle entame des cours du soir – « très classiques » - s’étalant sur trois ans. « On apprenait à confectionner des bouquets techniques, alors que je préfère quelque chose de plus champêtre. Des compositions qui sont, en fait, considérées comme ‘moches’. C’est une des raisons pour lesquelles je n’aurais pu me lancer en fleuristerie classique, avance-t-elle. Je ne voulais pas non plus de fleurs emballées dans du plastique, comme on en trouve chez tous les grossistes. Ni prendre part au gaspillage, dont l’ampleur m’a frappé pendant mes stages. Et puis, j’ai découvert l’impact écologique de l’industrie des fleurs coupées. Le fait qu’elles viennent de partout par avion-cargo, que les saisons ne sont pas respectées… C’est tellement paradoxal : les fleurs reflétant la nature, on pourrait penser que ce qu’on trouve chez les fleuristes est naturel. Sans information à ce sujet, on n’y pense pas. D’ailleurs, au cours de ma formation, ce sujet n’a pas du tout été abordé. Bref, je ne m’y retrouvais pas vraiment. »

Lors d’un voyage aux Etats-Unis, Elodie découvre le slow flower, un dérivé du plus large slow movement, qui tend, entre autres, vers l’amoindrissement de notre impact écologique et vers plus de simplicité. Le slow flower, ou éco-fleurisme, partage ainsi le même dénominateur commun que le slow food : une production durable, locale, de petite échelle et saisonnière.

Une des premières récoltes d’Elodie, en mai 2021.

Chaque jeudi, entre mai et octobre, Elodie prend la route vers les champs de ses trois producteurs partenaires. « Tous des passionnés qui ont étudié la culture des fleurs biologiques, sourit-elle. Nous n’avons pas qu’une relation économique, nous partageons les mêmes valeurs. Pour nous, il s’agit d’avoir des variétés de fleurs adaptées à nos saisons et nos sols, comme les camomilles ou les digitalis, sans forcer leur rythme de croissance. » Le temps de cueillir les fleurs une par une, Elodie confectionne ensuite trente bouquets dans son atelier, livrés ou récupérés le lendemain. Le tout respecte les grandes lignes directrices du slow flower : pas de gaspillage grâce à un système de pré-commandes, pas de produits chimiques (pesticide ou insecticide) déversés dans les champs ou pour « faire tenir les fleurs cueillies » (comme la laque), pas de fleurs venues d’ailleurs ou à la croissance favorisée par la chaleur et la lumière solaire artificielles des énergivores serres chauffées. « Le mouvement commence à prendre mais il y a encore beaucoup de greenwashing. Certains fleuristes essayent de jouer là-dessus en vendant des ‘fleurs de saisons’. Elles sont bel et bien de saison mais… Mais elles ne sont pas vierges de pesticides et n’ont pas été cultivées ici. » Et hors-saison ? Les créations Ginger Flower sont réalisées avec des fleurs séchées dans les granges de ses partenaires, à l’abri de l’humidité et de la lumière. « C’est une activité suffisamment rentable mais pour être plus stable financièrement, j’ai diversifié mon activité, notamment en fabriquant des bijoux avec des fleurs séchées ou des bougies naturelles. »

A l’instar des Etats-Unis, le slow flower gagne du terrain en Belgique. Et Elodie compte participer à la propagation du mouvement, notamment en développant des formations dont elle n’a toutefois pas encore dessiné les contours. « La demande existe, soit de personnes lambda qui ne trouvent pas ce qu’elles cherchent dans les formations classiques, soit de fleuristes qui veulent adopter une démarche plus écologique. Et du côté des clients aussi. Je crois que ce qui m’a le plus marquée quand j’ai commencé, c’est le nombre de clients qui me disaient ne plus aller chez le fleuriste depuis plusieurs années en raison du coût environnemental de cette industrie. »

Sarah Freres

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