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Bigger than us, ça commence avec toi

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Melati a dix-huit ans. Elle se bat depuis l’âge de douze ans contre la pollution de plastique qui ravage son pays, l’Indonésie. Avec Flore Vasseur, la réalisatrice du long métrage documentaire Bigger than us, présenté au dernier Festival de Cannes et qui sort en salle le 22 septembre, elle est partie à la rencontre de cette génération qui se lève pour « réparer le monde ». Une rencontre « de pair à pair » avec six autres jeunes âgés de 18 à 25 ans, tous immensément justes et formidables, qui luttent pour défendre les droits humains, le climat déréglé, les migrants échoués en mer, la liberté d’expression, l’accès à l’éducation et à une agriculture saine… Rene, Mary, Xiu, Memory, Mohamad, Winnie et Melati sont déterminés, courageux, enjoués. Ils foncent, dénoncent, agissent avec un puissant sentiment d’urgence. Pour empêcher les ravages de l’industrie du gaz de schiste au Colorado, la politique migratoire européenne, le patriarcat et le viol institutionnalisé au Malawi, la déforestation en Ouganda… Ils sont les visages d’une jeunesse au chevet des moins nantis et de la Terre maltraitée. « On coule, on a peur pour nos vies (…) Jusqu’où nous devrons nous aller pour changer ? » s’interroge Melati. Rien ne semble les arrêter. Car ils se battent pour « quelque chose de plus grand qu’eux ». Parce qu’ils veulent « faire partie de la grande Histoire ». Bigger than us raconte leur odyssée avec un rythme soutenu, beaucoup de finesse et une grande empathie. Un film-choral, chargé de convictions et d’émotions, qui se range du côté de l’espoir et de la transformation.


Romancière, réalisatrice et enquêtrice, Flore Vasseur explore depuis plus de vingt ans notre rapport au pouvoir, à l’engagement et au courage. Dans son premier long métrage documentaire, elle dresse un portrait tout en puissance de la jeune génération qui se lève pour enrayer le déclin de l’humanité.

En 2016, votre fils de 7 ans vous demande à table « ça veut dire quoi maman, la planète va mourir » ? Ce sera l’un des moteurs de votre film. Les enfants nous montrent-ils la voie à suivre ?

— Il y a un génie dans l’enfant qui est celui du bon sens, de l’amour et du rapport à la justice. Il est le seul à dire : « c’est pas juste ! ». Ensuite, quand il grandit, la société, les parents, l’école, l’expérience lui apprennent à dire : « ce n’est juste, oui mais… ». Petit à petit, l’interrogation, l’interpellation, la révélation s’effacent. Au-delà de tout ce qui fait leur puissance (l’enthousiasme, l’émerveillement…), les enfants voient parfaitement bien tous nos compromis, nos arrangements et nos renoncements. Et si on les laisse s’exprimer, ils sont intraitables. Sommes-nous capables de les entendre réellement ? Pas sûr. On a tous grandi avec cette phrase qui a fait tant de mal « tu comprendras quand tu seras grand ». Non, les enfants sont capables de tout entendre et tout comprendre, à condition que les adultes soient capables de leur donner une explication claire et sincère, de leur dire la vérité et de demeurer eux-mêmes transparents et exigeants. Ce jour-là, devant mon fils, j’avais deux options : tricher ou sortir les rames et affronter ses questionnements. Et je me suis lancée dans ce film pour tenter d’y répondre.

Vous avez une carrière en deux temps : d’abord comme entrepreneure dans le milieu de l’industrie du luxe et du marketing, puis un virage à 180 ° comme écrivain et journaliste en dénonçant l’emprise du monde de la finance et des élites, les dérives du système capitaliste et des technologies. Ici, vous êtes moins du côté de la dénonciation, votre film est davantage positif, voire feel good. C’était un choix ?

— J’écris pour apprendre et ensuite transmettre ce que j’ai compris. Je devais passer par cette étape de décryptage/décorticage, voir le dessous des cartes. Comme un hacker, j’avais besoin de démonter le système pour en comprendre les ressorts et le reconstruire autrement. La matière était évidemment très noire et triste. Dès 2012, j’ai commencé à faire des portraits de « solutionneurs », de gens qui inventent et proposent, comme dans Meeting Snowden. Malgré la grande médiatisation de ce film, rien n’a changé. Après tout ça, j’ai ressenti un immense sentiment d’échec. J’avais besoin d’autre chose, de parler de la peur du changement face aux crises actuelles, des résistances, de ceux qui font bouger les lignes. J’assume le côté positif du film. Pourquoi faudrait-il être, au nom d’un certain snobisme, dans le dénigrement et le cynisme ? Ce n’est pas toujours nécessaire.

Vous avez choisi Melati comme fil rouge de votre film (lire ci-dessous). Comment s’est opéré le choix des six autres activistes ?

— J’avais suivi Melati dans un premier documentaire (Et si les enfants changeaient le monde ?, 2016, Arte). Elle était formidable et très décidée à foncer. On a fait un énorme travail de recherche, sans se limiter aux activistes de l’environnement. Nous sommes partis des objectifs du Millénaire pour le développement en allant au cœur des enjeux, en croisant les continents, les genres, les religions. Comme 80 % de la jeunesse mondiale vit hors de l’occident, nous voulions un film qui soit le moins ethnocentré possible, largement ouvert sur le monde. En veillant à choisir des jeunes bien décidés, qui ont un impact direct sur leur communauté. On ne pouvait pas être dans le discours, l’incantation ou la bonne intention.

C’est parfaitement réussi. Ils ont chacun leur cause bien chevillée au corps avec, comme dénominateur commun, une forme d’état d’urgence à agir.

— Dans la plupart des cas, ils évoluent dans des sociétés qui se sont déjà effondrées et, dans ce sens, ils ont tous quelque chose à nous enseigner en Occident. C’est une forme d’activisme par fatalité : ils n’avaient guère le choix, pour (sur)vivre, il fallait qu’ils bougent. Ils sont à l’avant-poste de ce qui nous attend et nous montrent comment vivre, agir, lutter face à ce qui nous arrive. Mais ce film parle aussi de leur dignité, des freins et des résistances face à l’absurde, la bêtise et l’indignité de ce monde.

Ce film arrive en pleine crise sanitaire, avec un propos qui nous rappelle combien les enjeux sont interconnectés.

— J’ai commencé l’écriture en 2018, avant la pandémie. Mais vous avez raison, le film nous rappelle que le Covid-19, c’est l’arbre qui cache la forêt. Avec cette guerre contre le virus, on en oublie les crises qui se superposent : l’injustice sociale, le dérèglement climatique, le sort des migrants… Les événements extrêmes survenus pendant l’été en Belgique, en Allemagne, en Californie et ailleurs nous éclatent une nouvelle fois à la figure. En faisant ce film, j’avais profondément envie de montrer qu’on ne peut pas vivre et gouverner par la peur. Le changement de paradigme que ces activistes et notre équipe proposent, c’est un choix de l’amour. Je ne parle d’amour bêbête ou simplet, je parle de liens puissants à (re)créer, un moyen bien plus subversif qu’il n’y parait. Si vous grandissez hors de la peur, vous êtes moins contrôlable, vous récupérez votre pensée, vous devenez plus libre, vous êtes en capacité de changer les choses.

D’où l’idée de combat « plus grand que soi ».

— Oui. Prenons le cas de Mohamad, 20 ans. Il a fui la Syrie en guerre et abouti au Liban. Il n’y a pas d’école dans le camp de réfugiés où il grandit, il en crée une. Elle est détruite, il s’accroche et en fonde une nouvelle.

Au final, ce film vous a également transformée ?

— Clairement. J’ai pu répondre à mon fils en lui donnant quelques explications sur « pourquoi la planète va mourir ». J’ai mis en avant des jeunes gens que l’on peut imiter, soutenir, écouter… Dans notre société de la représentation culturelle, on a besoin de modèles transformateurs. Si, au lieu de vénérer tel footballeur ou telle influenceuse, on peut s’appuyer sur de nouvelles figures comme Melati et tous les autres jeunes qui bougent aux coins du globle, peut-être parviendra-t-on à enclencher un mouvement vertueux. Il existe énormément de solutions aux problèmes de la planète, mais il faut le désir de changement, la capacité à le faire, à se projeter. On espère que ce film donnera un élan à notre jeunesse trop souvent tourmentée, dévalorisée, culpabilisée. C’est l’envie de vivre, de se battre, d’aller de l’avant, qu’on cherche à transmettre. L’extinction des abeilles c’est un fait, mais la jeunesse aussi commence doucement à s’éteindre ! Il y a urgence absolue à casser cette idée selon laquelle l’engagement est un truc de ringards, de sectaires, d’anarchistes ou de complotistes. Pour moi, il y a un mot central dans notre film, c’est « permettre ». Permettre à des énergies collectives de se déployer, permettre un nouveau rapport au monde, permettre à une génération d’exister et de rêver.

H. Do.


Bigger than us a été coécrit par Flore Vasseur et Melati Wijsen. Il est produit par Elzévir films et Big mother productions et coproduit par Marion Cotillard (All you need is prod) et France 2 Cinéma. La musique originale est de Rémi Boubal.

Le film sort en salle fin septembre, en partenariat avec l’Asbl Rizosphère (rhizosphere.be) et le magazine Imagine Demain le monde.

Plusieurs avant-premières sont prévues le 4 septembre à Bruxelles dans le cadre du BRIFF, le 22 septembre à Liège (Cinéma Sauvenière), le 23/09 à Namur (Cinéma Caméo), le 24/09 à Louvain-la-Neuve (dans le cadre du Festival Maintenant)

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