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Interview

François de Saint Georges : "Ce sont de jeunes rebelles que rien n’effraie, et ils m’ont contaminé"

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Le réalisateur belge François de Saint Georges a suivi pendant de longs mois les riverains de Fernelmont qui se battent contre l’usage des pesticides. Son film ZUT (pour Zone Urgente à Transformer) est présenté lors du Festival Alimenterre qui débute ce 13 septembre.

En Région wallonne, la province de Namur abrite une commune qui ne renoncera pas à faire parler d’elle. Il s’agit de Fernelmont, où des riverains n’en démordent pas sur la question des pesticides. C’est ici que démarre ZUT, le film de François de Saint Georges qui a décidé de documenter cette soif de changement radical, incarnée par Marie-Thérèse Gillet et d’autres riverains qui, depuis 2016, s’organisent et n’hésitent pas à faire parler d’eux. Inspirés des ZAD, zones à défendre, ils ont remanié ce concept à leur commune pour en faire une ZUT : une zone urgente à transformer. Ils ne veulent plus de pesticides, du tout, et tout de suite. En cause, notamment : le nombre croissant de cancers ou autres pathologies que développe un nombre croissant de fernelmontois. Le plus âgé avait soixante ans lorsque sa maladie a été détectée, et elles l’ont toutes été dans des périmètres étrangement proches. Marie-Thérèse et ses voisins ne sont pas les seuls à s’en inquiéter. Plus de dix médecins ont écrit aux autorités communales. Un scientifique a révélé, par une recherche in situ, la présence d’un grand nombre de substances actives. Ces protagonistes, on les suit au fil de ce récit où François de Saint Georges les plonge dans une réalité plus vaste de ce qu’est devenue l’agriculture en Belgique. Un système violent où petits exploitants disparaissent au même titre que la biodiversité et qui produit et exporte des pesticides interdits d’usage sur son propre sol.

Le film sera projeté dans le cadre du festival Alimenterre, qui se déroule à Bruxelles et dans plusieurs villes wallonnes du 13 au 17 septembre. Au programme, notamment : des projections sur le thème de l’alimentation et de l’agriculture dans le monde rythmées par des discussions et des rencontres avec des spécialistes du monde agricole, des cinéastes ou des porteurs d’initiative. ZUT fait partie des huit films en compétition pour le prix Alimenterre. Imagine a rencontré son réalisateur, François de Saint Georges.

Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser à la question des pesticides ?

Les questions écologiques et agricoles m’intéressent énormément depuis toujours, mais je pense que c’est lié à mon premier job. J’ai été intoxiqué sans le savoir dans une exploitation agricole et inconsciemment, ça a alimenté cette envie de faire un travail. Le film arrive après une recherche de trois ans sur le sujet, qui a donné lieu à une série de créations radiophoniques. L’objectif a toujours été d’en faire un film mais il y avait cette étape à franchir, pour mieux cerner ce que je voulais raconter. Et là, je sors du film avec l’envie d’en savoir plus et d’aller plus loin. Avec le savoir que j’ai accumulé, je ne peux pas juste m’en séparer et passer à autre chose, ce serait franchement dommage.

Vous dites dans votre film que tout naît de Marie-Thérèse…

C’est vraiment elle. Je l’ai rencontré, et quand j’ai vu sa manière d’être, le fait qu’elle soit toujours prête au débat sans jamais s’énerver, même si elle y va comme une boxeuse, ou qu’elle se renseigne énormément sur le sujet, j’ai eu envie de faire un film sur le le combat qu’elle menait. Mais pas trop vite. J’ai d’abord construit mon savoir et je voulais obtenir, par le biais de toutes ces rencontres, la vision la plus panoramique possible. Toutes ces personnes que je montre dans ZUT, j’ai voulu les mettre en avant parce qu’elles m’ont toutes marqué. Je les ai aussi trouvés très courageuses de parler devant une caméra, surtout d’un sujet aussi clivant.

Quels éléments vouliez-vous faire ressortir dans ce film ?

Stigmatiser les agriculteurs était la dernière de mes envies. Je ne voulais pas opposer deux modèles, avec d’un côté l’agriculture conventionnelle, et de l’autre l’agriculture biologique. Je ne voulais pas qu’on dise : “ça, c’est la solution”. C’est pour ça que j’ai voulu mettre en avant Tijs, l’agriculteur biologique. Il est dans un réel dialogue avec les conventionnels. Ce qu’il veut par-dessus tout, c’est qu’ils survivent. La solution se trouve entre toutes sortes d’agriculture. J’ai ce sentiment d’avoir laissé chaque partie s’exprimer et j’espère que l’on comprend que l’enjeu est ailleurs. D’une part, par cette recherche de vérité et d’autre part, cette nécessité d’aborder la question de manière systémique. C’est important que le film s’appelle ZUT, parce qu’il y a ce désir très fort que les choses changent immédiatement, et c’est une volonté qui est parfaitement justifiée. Et puis, à côté, il y a la réalité du terrain. En tout cas, je ne voulais surtout pas tomber dans une quelconque victimisation mais dépeindre ceux qui, comme Marie-Thérèse [qui a développé un cancer, NDLR], refusent ce statut, prennent leur destin en main et leur vie s’en trouve transformée. Malgré un sujet relativement désespérant, je voulais montrer cette dynamique créative et cette puissance de vie.

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Tel le combat de Marie-Thérèse ou Tijs, la thématique principale de votre film semble graviter autour de cette volonté de rendre visible l’invisible…

Dès le début du projet, il y avait cette sémantique chez moi. Il s’agit de dire : ici, il y a un problème, mais il ne se voit pas. Tout du long, je réfléchissais à comment le faire émerger cinématographiquement. Comment filmer cette métaphore. Paul François, un des grands moteurs de changement sur ce sujet-là justement, sera présent avec moi pour participer au débat qui aura lieu après la projection. C’est un agriculteur qui, après des années à se remettre d’une intoxication aigüe, a créé une association, Phytovictime, qui tente de recenser les agriculteurs intoxiqués aux pesticides. Pour le coup, il cherche vraiment à rendre visible l’invisible, et il fait en sorte que ces victimes ne se sentent plus seules. Il a un courage phénoménal de parler d’un monde où, de l’extérieur, on ne laisse rien transparaître. C’est lorsque les agriculteurs remettent en cause le fonctionnement que les choses peuvent commencer à avancer.

Vous participez vous aussi à cette recherche de vérité. Vous décidez, au cours du documentaire, de faire analyser la présence de pesticides dans la terre de Fernelmontois. Vous trouverez entre deux à vingt substances actives dans chaque échantillon. Le glyphosate, soupçonné d’être cancérigène, revient à chaque fois…

Dans toute démarche documentaire, on fait émerger quelque chose. Là, c’est aussi passé par ce test. Chez moi, c’était humble, mais ça a permis de se faire une idée. C’était important pour moi d’être un acteur, le plus discret possible, mais d’être considéré au même titre que chaque intervenant. Ça avait du sens ici. Parce que je suis impliqué. J’ai vraiment envie que les choses changent.

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Il y a cette phrase qui résonne, d’une chercheuse à qui on avait refusé dans un premier temps de publier ses résultats. Avec pour cause : « Si c’était vrai, ce serait dramatique ». Est-ce que ce film est aussi une manière de montrer que ça l’est déjà ?

Oui, parce que c’est absolument dramatique. Si on s’intéresse plus généralement aux pollutions chimiques, c’est juste fou et inconcevable qu’il y ait des résidus partout, et tout le temps. Dans l’air, dans l’eau, dans notre corps ou celui des animaux. C’est tout simplement douloureux, c’est une blessure de plus. Ça n’enchante pas quoi, et moi, à titre personnel, j’ai plutôt envie d’être enchanté !

Vous ouvrez votre film avec un élément que nous n’avons pas encore abordé. Celui des exportations de pesticides interdits d’usage mais toujours produits sur le sol européen.

Collectivement et politiquement, on a décidé d’interdire leur utilisation. Mais le revers de la médaille, c’est qu’on les envoie ailleurs. Si on va voir ce qu’il se passe là-bas, notamment au Brésil, c’est une horreur. C’est inimaginable ce qu’on accepte et ce qu’on est en train de faire à l’environnement ou aux gens. Tout le monde le sait mais tout le monde ne s’aperçoit sûrement pas à quel point c’est grave. C’est un sujet qui a le mérite d’être directement choquant.

Si vous aviez à prendre du recul sur tout ce travail, qu’est-ce qui se dégagerait ?

Ce n’est pas parce que la problématique est systémique qu’elle ne mérite pas d’être questionnée ou que l’on s’interdise de réfléchir à sa transformation. Il y a eu une grande révolution agricole après les guerres mondiales. C’est un système qui peut être réinventé. On nous fait croire que l’usage de ces produits nous permet d’avoir tous assez à manger. Un intervenant du film m’expliquait que la faim dans le monde est plutôt une faim organisée. Parce qu’à priori, il y a bien assez à manger, et ce depuis des années. Pourtant, il y a encore un milliard de personnes qui ont faim, peut-être plus. Ce n’est pas en produisant plus qu’on nourrira mieux la planète, manifestement. Je me dis parfois que l’intention de ces entreprises, c’est que le système se détériore suffisamment pour que ça leur soit profitable, encore et toujours. La question qui reste sous-jacente, c’est peut-on aujourd’hui s’en passer ? À certains endroits, les écosystèmes ont tellement été bouleversés que la seule solution restante, c’est de les utiliser, ces pesticides. Ce qu’on doit arriver à faire, c’est créer les conditions pour que ça n’arrive plus. Nous avons besoin de transformations urgentes. C’est une réflexion à avoir et bien sûr, si on plaçait l’industrie de l’agrochimie en-dehors de l’équation, on avancerait plus vite.

Une campagne contre l’exportation de pesticides

Le festival Alimenterre a été fondé et est organisé depuis par SOS Faim. Cette ONG a été créée en 1964 pour lutter, en Afrique et en Amérique latine, contre la faim et la pauvreté en milieu rural. À l’occasion de cette 14e édition, SOS faim lance sa campagne de sensibilisation sur les exportations de pesticides interdits d’usage en Europe pour leurs effets hautement toxiques sur la santé et/ou l’environnement. Leur production sur le sol européen ne s’est en effet pas arrêtée, ceux-ci continuent d’être envoyés dans des pays à la réglementation plus laxiste. Selon l’ONG Public eye, en 2019, 81 000 tonnes sont parties à l’exportation. Les pesticides les plus toxiques, dits highly hazardous pesticides (HPP), qui ne sont par ailleurs pas tous interdits en Europe, représentent par exemple 45 % des produits phytosanitaires au Brésil. En parallèle, dénonce SOS faim, les quatre entreprises leader (Bayer, Syngenta, BASF, Corteva) en font 30% de leur chiffre d’affaires. “Nous voulons stopper ce commerce toxique” qui, pour l’ONG, menace notre sécurité alimentaire.

Roxanne Machecourt (stag.)

En savoir plus :

Présentation et programmation du festival : https://festivalalimenterre.be

Podcasts réalisés par François de Saint George, au préalable de ZUT : https://www.radiopanik.org/emissions/comme-on-nous-traite-/

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